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← articles plus anciens 09 mai 2016 musique classique à nuit debout. a-t-on bien mesuré ce qui se joue ? l’évènement est loin d’être passé inaperçu. le 20 avril, après avoir annoncé sur facebook leur intention, quelques 350 musiciens ont joué, place de la république, la symphonie du nouveau monde , d’antonin dvorak. les réseaux sociaux ont relayé la nouvelle avec enthousiasme, multipliant les photos et vidéos des musiciens en pleine répétition. les jours suivants, nombreux furent les hommages à cette performance hors normes, où les partitions étaient éclairées par les téléphones portables et où les chefs d’orchestre qui se succédaient pour les différents mouvements dirigeaient avec une baguette phosphorescente. l’orchestre debout en répétition – copyright socioprolixes fort de cette réussite, initiée au départ par un jeune hautboïste amateur , la formation qui s’appelle désormais l’orchestre debout, décide de réitérer la performance le 30 avril. l’appel sur les réseaux sociaux est relancé, et les musiciens sont augmentés de 150 choristes. cette fois-ci sont joués, outre la symphonie du nouveau monde , le chœur des esclaves de verdi et l’hymne à la joie de beethoven. dans une ville comme paris, peu ouverte à la musique amateur au-delà des prestations des élèves des conservatoires à l’intérieur de ces institutions ou, parfois, sous les kiosques des jardins publics, et où la fête de la musique n’a guère réussi à promouvoir la musique classique dans la rue, un concert symphonique improvisé représente plus qu’une performance, c’est un évènement. il faut qu’elles soient bien embarrassées avec le mouvement nuit debout pour que les autorités, en particulier celles qui représentent la culture, ne le saluent pas pour ce qu’il manifeste : le nombre considérable de musiciens classiques bien formés, leur grand désir de jouer, et la réceptivité du public de la rue. mais au-delà de cette incontestable réussite, peu se sont interrogés sur la signification de cette présence singulière de la musique classique à nuit debout, où l’on s’attendrait davantage à voir fleurir les fanfares ou les groupes de musiques du monde, qui en sont – eux – plutôt absents. quelle est la fonction de ces moments de communion dans les grands airs classiques ? et de quoi le choix du classique est-il inconsciemment le nom ? refus du marché et affirmation d’une culture libératrice il est peut-être, d’abord et avant tout, révélateur d’une caractéristique commune à tous les participants à nuit debout : celle du refus de la loi du marché, en matière de culture comme pour le reste. or si la musique classique a une spécificité au regard du reste de l’offre culturelle, c’est qu’elle continue d’échapper à la logique marchande. elle représente le secteur le plus dépendant des finances publiques, et comme le rappelait le sociologue pierre-michel menger dans un entretien au journal la terrasse en 2009 , elle incarne à ce titre « le soutien de la démocratie républicaine à une culture symboliquement forte, savante, exigeante, surtout par différence avec les musiques portées par le marché « . l’appel aux musiciens amateurs sur facebook s’inscrivait explicitement dans cette revendication d’une société fondée sur la justice et la culture pour tous, dans la grande tradition des idéaux de démocratisation culturelle et d’éducation populaire issus de la résistance : « parce que nous souhaitons un nouveau monde, tout simplement meilleur, dans lequel la justice et la culture seront la base de la société, nous avons le droit et même le devoir de nous lever . » le choix des morceaux, soumis au vote des musiciens est révélateur lui aussi de ce qui cherche à se dire à travers ces concerts, bien que certains choix soient plus surprenants que d’autres. parmi les pièces retenues, deux font quelque peu figure de « marronnier », et n’étonnent guère. le chœur des esclaves de nabucco évoque la thématique de la libération, tandis que l’hymne à la joie revendique l’inspiration humaniste du mouvement, et le long chemin des peuples européens en quête d’un avenir meilleur. rien que de très classique, et de spontanément en phase avec les revendications de nuit debout. plus surprenant en revanche le choix de la symphonie du nouveau monde , qui est devenu l’emblème de l’orchestre debout. son titre à coup sûr en a fait un choix paré de l’évidence et hautement symbolique pour cette manifestation. car nuit debout aspire explicitement à l’avènement d’un monde nouveau. mais ce nouveau monde qui donna son nom à l’œuvre de dvorak est, au moment où ce dernier la compose en 1893, bien plus qu’un simple horizon. il s’agit très concrètement des etats-unis d’amérique, auxquels le migrant tchèque rend un vibrant hommage. a l’heure où l’europe ferme ses frontières, et où la question de la crise migratoire n’éveille que très peu l’intérêt des mouvements sociaux, à commencer par celui de nuit debout, ce choix peut surprendre. il surprend d’autant plus quand on sait que la symphonie du nouveau monde est aujourd’hui, par excellence, l’hymne à la fierté américaine . la musique classique, un marqueur socio-culturel parmi les plus puissants mais au-delà de la question « qu’est-ce qui se joue » à nuit debout, au sens propre comme au figuré, on ne peut ignorer une autre question, moins anodine qu’il n’y paraît : qui joue ? en effet il y a quelque chose de magique à voir apparaître à l’appel des réseaux sociaux une foule de musiciens et chanteurs – pour l’essentiel amateurs même si quelques professionnels les accompagnent – équipés de leur instrument et prêt à se fondre dans le collectif anonyme de l’orchestre, représentation exemplaire s’il en est du corps à la fois collectif, horizontal et créateur qu’aspire à être nuit debout. pourtant, les enquêtes sur le sujet sont sans appel : la musique classique a toujours été et reste, en dépit de politiques ambitieuses de démocratisation de l’accès à la culture, un marqueur social et culturel élitiste. et cela autant dans l’écoute de musique et la fréquentation des concerts classiques que dans la pratique d’un instrument. selon les chiffres du ministère de la culture, en 2008, la musique classique enregistre, avec l’opéra et le jazz, le plus fort taux de cadres et professions intellectuelles parmi le public des concerts (26%). et, chez les praticiens adultes, les niveaux de diplômes élevés sont surreprésentés, et sont également associés à une pratique plus intense de l’instrument. les musiciens de l’orchestre debout sont de jeunes gens, issus des classes moyennes intellectuelles, que leurs parents ont fait fréquenter assidûment les conservatoires – et qui feront sans doute de même avec leurs enfants. ils sont bien les représentants de ce qu’aude lorriaux dans slate a appelé la « nuit qui pense » : éduqués et désireux d’échanger sur le fond des enjeux. l’image de l’horizontalité, tant prônée par nuit debout, incarnée par le concert classique et pourtant, l’orchestre debout a incontestablement réussi quelque chose. car nuit debout fonctionne, depuis le début, selon un principe d’archipels thématiques, qui attirent chacun des participants directement concernés, partageant leurs expériences autour d’enjeux spécifiques : musées debout, poésie debout, avocats debout… c’est à ce titre que l’irruption sur la place de l’orchestre debout représente quelque chose d’exceptionnel, hors des commissions, loin des décisions des assemblées. alors que la convergence des talents et des préoccupations est un horizon tout aussi difficile à atteindre pour nuit debout que celui de la convergence des luttes, le peuple, nombreux, des musiciens classiques a fait exception. pour une raison très simple : les conservatoires de musique constituent la partie de l’enseignement artistique non scolaire de loin la plus représentée. et aussi celle qui se trouve être la plus investie par les classes moyennes, notamment leur fraction la plus éduquée. la culture musicale est aussi particulièrement unifiée, du fait d’un langage musical classique part